MÉDIAPART : SURPRISE EN PLEIN DÉRAPAGE, LA JUSTICE CENSURE FRANCE CULTURE
16 mars 2017 Par Michaël Hajdenberg
Une journaliste avait exceptionnellement obtenu le droit d'enregistrer des audiences du tribunal de Marseille pour France Culture. Mais lors d'un procès en comparution immédiate, les magistrats ont tellement dérapé, dans l'expression et dans la sanction, que le tribunal a pris peur et rompu l'accord. Un miroir a été tendu à la justice. Elle a préféré le casser.
… Cette audience de comparution immédiate est pourtant un condensé de ce qui se fait de pire en matière de justice d’urgence. « Une sorte d’Outreau de la comparution immédiate », juge un magistrat.
… Un magistrat très respecté au sein du tribunal commente : « Cette audience est effrayante tellement elle est conduite de façon peu professionnelle. C’est “collector”. Un juge d’instruction qui tiendrait des propos de ce genre dans son cabinet, ça ne tiendrait pas deux minutes. D’ailleurs, la jeune avocate aurait dû intervenir, créer un incident d’audience. Quand la présidente du tribunal dit qu’on ne peut plus regarder ce jeune homme comme un être humain, c’est inqualifiable. Que dirait dans ce cas un président d’assises devant un crime ou même le président d’un tribunal correctionnel devant des faits autrement plus graves ? Il y a un manque d’humanité, de compassion, de subtilité. Un magistrat se doit d’être digne et loyal. Il ne doit pas donner son sentiment. Les exigences déontologiques ne sont pas respectées. »
… La procédure de comparution immédiate, instituée en 1863, visait au départ à réduire la durée de détention provisoire pour les flagrants délits. Depuis les lois Perben (2002 et 2004), la procédure peut concerner quasiment l’intégralité des délits, même non flagrants, susceptibles d’engendrer une condamnation inférieure à 10 ans.
À Marseille, en 2016, les chercheurs Sacha Raoult et Warren Azoulay (pour l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux) ont analysé pendant cinq mois les comparutions immédiates (soit environ 500 prévenus). Ils ont tiré quelques données chiffrées sur cette filière courte, qui veut frapper fort, avec un niveau de débats faible.
Sur les 29 minutes que dure en moyenne un procès de comparution immédiate, six sont consacrées à la plaidoirie de l’avocat du prévenu. L’étude a dénombré 3,8 % de relaxes (un chiffre visiblement assez habituel). « Dans 75 % des cas, il s’agissait exactement de la peine qui avait été requise par le parquet (le procureur). » Les deux chercheurs s’étonnent du fait que « le large éventail des peines alternatives ne soit quasiment jamais utilisé ». Une affaire sur deux se conclut par un mandat de dépôt (c’est-à-dire une incarcération immédiate).
… Le public qui défile est « essentiellement masculin, jeune, isolé, précaire, peu inséré ». 64 % des prévenus ont un casier judiciaire. Les vols représentent un tiers des infractions jugées. Les trois quarts des prévenus sont assistés d’avocats commis d’office, de permanence pour la journée et traitant donc plusieurs affaires qu’ils n’ont eu à connaître que le matin même.